Herr Doktor - 2008-08-15
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Petit
abécédaire des gangs grimés
Par Herr Doktor
George Bernard Shaw (1856-1950),
critique musical irlandais, s’était pourfendu d’une réflexion qui fera date
dans l’histoire du rock: «La clé du succès, c’est d’offenser le plus grand
nombre».
Certains groupes énumérés ci-dessous
l’ont compris (Alice Cooper, David Bowie, Kiss, Marilyn Manson, Mötley Crüe).
Choquer, ça rapporte. Tous ces garçons sont multimillionnaires, jouent au golf,
possèdent des propriétés qu’Omar Harfouche envierait, ne roulent pas en Lada et
ne sont pas obligés d’acheter des produits oblitérés M-Budget.
D’autres, à l’instar de Gwar, Deicide,
King Diamond ou Cradle Of Filth, ne
dépasseront jamais le stade de formations de série B. Un peu comme le Servette
FC. Parce que trop extrêmes, trop obscurs, trop sérieux, trop crades, trop pas
gentils. Alors que des combos comme les Misfits, les Cramps ou les Plasmatics
auraient mérité mieux qu’un statut de groupe culte, underground.
Quant à Rob Halford, l’antipathique
gouailleur de Judas Priest, il aurait mal interprété les propos de G.B. Shaw et
s’est empressé d’aller «enfoncer le plus grand nombre»...
Que l’on approuve ces groupes ou qu’on
les désavoue, qu’on les adore ou qu’on les abhorre, ils ont, à leur manière et
dans des proportions différentes, marqué l’évolution du rock dur. En voici un
abécédaire non-exhaustif, volontairement vitriolé, à l’intention de ceux qui
croient encore que Slipknot a inventé quelque chose.
Alice
Cooper
Pauvre Alice Cooper, né Vincent Furnier,
et fils de p...asteur! Indéniable pionnier des effets scéniques et des mises en
scène macabres, il a divisé l’opinion lorsqu’il quitta les sentiers du rock,
avec son lot de liqueurs et de lignes de coke, pour emprunter les voies du
Seigneur, à l’aube des ninetites. Depuis lors, il ne contente plus son public:
les chrétiens, ses frères d’âme, le jugent parce qu’il continue d’endosser le
rôle du méchant Alice Cooper, et de l’autre, les fans de rock purs et durs le
raillent en raison de ses convictions religieuses. Car après la messe rock du
samedi soir, c’est la messe du dimanche matin aux côtés de Madame. Après avoir
éventré une religieuse sur scène le samedi soir et sorti son serpent, voilà
qu’il se retrouve à côté d’une religieuse le lendemain matin en priant le ciel
de lui permettre de résister aux tentations du serpent. Même empêtré dans cette
dichotomie aux allures de serpent qui se mord la queue, notre ami Alice reste
notre Cooper de têtes préféré et finalement, un peu de dogmatique barthienne
dans ses textes ne fait de mal à personne.
Cradle
Of Filth
A propos de ce groupe sanguinaire emmené
par Dani Filth, Wikipédia note que «leur genre a évolué du death metal au black
metal». Wouaw, quelle évolution! Les amis de la poésie écouteront avec plaisir
«Sodomizing the virgin vamps» ou «Orgiastic pleasures», deux chefs-d’œuvre de
raffinement. Beaucoup de sang, des dégaines gothiques et des visages blanchis
au talc pour cul de bébé, voilà l’identité visuelle d’un groupe qui provoqua
l’ire du Vatican en raison de T-shirts à caractère blasphématoire. D’où
l’expression «Au Nom du Père, du Filth et du Saint-Esprit».
Deicide
On connaissait les pesticides, les
insecticides et autres spermicides, tous des produits destinés à éradiquer des
bestioles. Et voilà qu’un luciférien con(vaincu) nommé Glen Benton se propose
le déicide, soit le meurtre de Dieu, le Tout-Puissant, en personne. Sa musique?
Une sorte de capharnaüm de cithares surexcitées sur fond de râles et autres
grognements. Ce qui est sûr, c’est que le bouc préfère les gutturales aux
labiales. En guise de déguisement, ce suppôt du diable s’est fait scarifier une
croix inversée sur le front. Comme quoi c’est pas Yves Rocher qui a inventé le
maquillage permanent. On ignore s’il s’est fait greffer une queue de rat sur le
coccyx, mais ce qui est sûr, c’est que même si sa musique est tout sauf
érotique, Satan l’habite tout de même.
King
Diamond
Il est un spécimen qui cumule deux
déguisements: le maquillage et la barbe. Celui qui se fait appeler King Diamond
a davantage en commun avec King Kong qu’avec le King et s’appelle en fait Kim
Bendix Petersen. Une sale tronche qui ferait peur au diable lui-même. Leader du
combo Mercyful Fate, il est connu pour ses narrations théâtrales sur fond
d’histoires d’horreur, ses gris-gris d’inspiration luciférienne et une voix
suraiguë qui n’est pas sans rappeler le couinement d’une truie qu’on égorge
pendant une messe noire. Une sorte de petit chanteur à la croix de bois...
inversée, bien sûr.
Kiss
Probablement le groupe masqué le plus
célèbre de l’histoire du rock. Le plus décrié aussi. Un soir d’hiver en 1973,
Chaïm Witz (un instituteur), Stanley Harvey Eisen (un étudiant en arts
dramatiques), Paul Daniel Frehley (un chauffeur de taxi) et Peter Criscuola (un
ancien cuistot reconverti en batteur de jazz) ont donné naissance à ce qui
deviendra un phénomène, puis une multinationale, mélangeant héros de BD,
costumes inspirés des kabuki japonais et rock couillu. Chacun aura son alter
ego: le démon, la star, l’homme de l’espace et le félin. Ils étaient décidément
félin pour l’autre. Sur scène: du feu, du sang, de la sueur, des poses
obscènes, des confettis, des fumigènes. Tout cela n’a jamais réussi à masquer
un manque flagrant de virtuosité. Subversif à ses débuts (il faisait peur aux
parents, aux profs et aux églises, chouette!), le groupe est rapidement devenu
un show qu’on allait voir en famille. Les problèmes sont apparus en même temps
que les gros sous: avec un guitariste ivre mort à toute heure et un batteur qui
aurait dû suivre des cours de gestion de la colère, Kiss devait se dissoudre et
enlever les maquillages, après dix ans de kissmania. Les années qui ont suivi
ont vu se succéder les groupes semi-maquillés (Mötley Crüe, Twisted Sister, W.A.S.P.) et ces pionniers du hard
rock grand-guignolesque se virent dépasser par Bon Jovi (c’est tout dire). Si
le grunge faillit définitivement enterrer le rock théâtral à l’aube des années
90, on assista à la renaissance de la formation originelle de Kiss, puis à une
succession d’articles de merchandising qui frisent parfois le ridicule: le
papier-cul, les boules de Noël, les peluches, le cercueil, tout estampillé de
la marque protégée Kiss©. Pas de nouveau disque à l’horizon, mais une
succession de best-of du meilleur de Kiss soldés à bas prix, avec un salami en
cadeau si acheté chez Denner.
En tant que manager et actionnaire de
l’entreprise Kiss, Doc McGhee (un parvenu, issu de l’accouplement de Danny De
Vito avec un gnome, qui a réussi sur Sunset Boulevard) vient d’avoir l’idée la
plus stupide qui soit: pourquoi ne pas organiser un casting sous la forme d’une
émission de télé-réalité, dans le but de recruter quatre bizuts qui
endosseraient les costumes et les masques de Kiss? Ainsi, Kiss deviendrait le
premier groupe à poursuivre sa carrière, au-delà même du décès de ses membres.
On devrait alors voir venir d’ici peu une nouvelle version de Kiss, avec quatre
rigolos salariés par le PDG Gene $immons. Des 1000 décisions discutables que le
groupe a prises au cours de sa carrière, celle-ci est sans conteste la plus choquante
et la plus insupportable pour le fan, lequel souhaite, lui, une fin de carrière
digne comme une mort paisible. Rien n’est éternel. Même pas Kiss.
Lordi
Ce groupe finlandais, une déclinaison de
Gwar mais avec le côté pipi-caca en moins, a connu son heure de gloire en
remportant le Concours Eurovision de la chanson en 2006. Auparavant, Mr. Lordi,
Ox, Amen, Kita et Awa (ce sont les pseudos des membres du groupe, pas les
onomatopées d’un bout de chou) avaient obtenu leur premier deal avec une maison
de disques grâce à l’intervention de Gene Simmons, son idole de toujours.
Déguisés en monstres hideux grâce à des costumes en carton-pâte réalisés par
l’école enfantine de Chatuzange-le-Goubet en France voisine et des masques
qu’on trouve chez Franz Carl Weber pour vingt balles, Mr. Lordi et ses sbires
ont un niveau intellectuel qui est en corrélation avec leurs aptitudes
musicales. C’est-à-dire limité.
Ozzy
Osbourne
Et dire que ce gars-là a tout inventé,
avec ses comparses de Black Sabbath. Le heavy metal est né à Birmingham, dans
ces brumeuses Midlands où la métallurgie est reine. John «Ozzy» Osbourne n’est
aujourd’hui plus que l’ombre de lui-même. Ce fou à lier qui se déguisait
volontiers en loup-garou ou en prêtre, qui crachait de la confiture d’airelles,
qui décapitait une colombe vivante en direct sur un plateau télé, qui
défénestrait sa femme à la moindre contrariété, qui a pissé contre le monument
du soldat inconnu à Fort Alamo et qui a probablement eu toutes les coupes de
cheveux possibles, est devenu un papy pathétique qui obéit à sa Sharon de
femme, laquelle est aussi sa manager. Aujourd’hui, il a davantage en commun
avec Garou qu’avec le loup. Pantouflard, flemmard, psychodépendant, incapable
d’éduquer ses sales gosses, il lui faut un GPS pour se déplacer dans sa maison.
De Prince des Ténèbres qu’il était, il s’est mué en une sorte de zombie
épileptique qui chante en play-back et qui ne connaît toujours pas les paroles
de «Paranoid» par coeur.
Slipknot
Que faire quand on s’emmerde dans un
bled pourri du fin fond de l’Iowa où la seule distraction est un vieux flipper
hors service dans un pub insalubre, qu’on n’est pas spécialement attirant
physiquement et qu’on possède un QI inférieur à celui d’un gerbi? Eh bien on se
met à faire de la miouze pour bûcherons et on se met un masque. Puis on hurle
n’importe quoi à des ados clearasilés qui entendent que «people = shit», si
possible en utilisant des accords que même un gars avec huit doigts et trois
mains n’arriverait pas à reproduire. Le seul problème quand on en vient à faire
une interview avec un membre du collectif, c’est qu’on sait jamais si le gars a
déjà enlevé son masque ou pas.
Toilet
Boys
Le quintette new-yorkais, méconnu par
chez nous, propose un glam rock pompé sur les New York Dolls. Leur chanteur, un
travesti du nom de Miss Guy, fagoté et maquillé comme une folle des Pâquis,
fait penser à un croisement entre Michou et Anémone. Le genre de type que même
Ronaldo aurait refusé de grailler dans un motel sordide. Leurs compos
téléphonées sont à chier. D’où le nom du groupe. A écouter aux chiottes. Ou
tout au plus dans son baladeur en allant faire pisser le clébard.
Turbonegro
Hank von Helvete, Happy-Tom, Euroboy,
Tomas Dahl et Pål Pot Pamparius composent cette bande de joyeux drilles venue
du grand froid, puisque ces pionniers du death punk nous viennent de Norvège.
Après des débuts gothiques peu enthousiasmants, Hank von Helvete et sa bande de
gays lurons ont commencé à porter des falzars façon moule-burnes, à arborer des
chapeaux dont même Elton John n’oserait se coiffer et à se peinturlurer la
tronche, pour donner, au final, une version poubelle des Village People. Et
inutile de préciser que le contenu textuel de leurs hymnes douteux,
«Rendez-vous with Anus» notamment, ne feront jamais d’eux les invités de «Fax
Culture».
Twisted
Sister
Imaginez Alice Sapritch en blonde, une
couche de fond de teint aussi épaisse que l’écorce terrestre sur la tronche,
des faux cils aussi longs que des poils d’aisselles, du rouge à lèvres des
pommettes à la pomme d’Adam, les bourrelets cachés dans des leggins roses que
même Véronique et Davina n’auraient jamais osé porter: voilà Dee Snider, leader
des très peu regrettés Twisted Sister. Mis à part quelques refrains de
footballeurs, ces «Soeurs tordues», qui ont cru prendre le trône des Kiss
(lesquels venaient de tomber les masques), n’auront marqué que les esprits des
habitués du Bois-de-Boulogne.
ZZ
Top
Sous les pseudonymes de Billy Gibbons et
Dusty Hill, deux des individus les plus recherchés de la planète ont réussi à
dissimuler leur véritable identité pendant plusieurs décennies grâce à des
barbes si longues qu’elles sentent les pieds. En fait, les deux lascars qui
officient au sein du trio texan d’El Paso ont pour vrai nom Ratko Mladic et
Goran Hadzic, deux criminels de guerre serbes. C’est suite à la récente
arrestation de Radovan Karadzic, caché depuis treize ans derrière une barbe de
patriarche, qui a éveillé les soupçons du FBI. Les deux barbus ont été
appréhendés hier soir sur la scène du House of Blues de Houston, où le trio
distillait son blues rock pur malt. Au nez et à la barbe du public présent.